Et voilà ce que ça donne de passer une journée au boulot à faire, disons, "pas grand-chose" !Sophie monta dans sa voiture et claqua la portière. Décidément, rien n’allait dans sa journée. Elle ne savait pas où aller mais elle devait conduire pour s’aérer la tête.
Au bout d’une centaine de mètres, une odeur insupportable la prit à la gorge. Elle essuya sa joue mouillée d’un revers de main et jeta un œil sur le tapis de sol du siège passager. Elle réprima une moue de dégoût, se souvenant en un flash la soirée de la veille.
Elle quitta la route des yeux le temps de couvrir son honteux forfait d’un chiffon trouvé dans la boîte à gants. Elle ne vit donc pas le feu rouge qu’elle grilla à 60 km/h avant de s’encastrer dans une voiture qui traversait le carrefour.
Le bruit de tôle froissée lui arracha un hurlement de stupeur mais à son grand étonnement elle n’eut mal nulle part. Sa tête lui tournait un peu mais elle parvint à sortir de sa voiture et ne put que constater l’ampleur des dégâts. Tout l’avant de l’engin était défoncé le rendant désormais bon pour la casse.
« - Oh ! C’est pas vrai ! »
Elle alla tout de même prendre des nouvelles de l’autre automobiliste lorsqu’elle reconnut le véhicule : un coupé sport gris métallisé. Sophie secoua la tête, essayant de s’auto persuader qu’elle était en train de rêver. Un attroupement de badauds commença à se faire autour de l’accident mais Sophie n’y fit pas attention. Elle ouvrit la portière du coupé et se pencha vers l’homme qu’elle reconnut sans mal même s’il se tenait la tête entre les mains.
« - Oh !! C’est pas vrai !! »
L’homme n’eut pas le temps de lever le visage vers elle que les pompiers et la police étaient déjà sur place. Sophie fut prise en charge et un policier vint la voir ;
« - Mademoiselle, apparemment vous êtes en tort. Plusieurs personnes vous ont vu passer au feu rouge. Vous confirmez ?
- Oui, c’est vrai, je n’ai pas fait attention, je…
- Et en plus de ça, au vue de l’ampleur de l’accident, vous deviez rouler au dessus de la limite autorisée.
- Je ne sais pas, je….Combien de points vais-je perdre ?
Le policier sourit et griffonna sur un carnet.
- Ah mais ce ne sont pas des points que l’on va vous retirer mademoiselle, c’est votre permis. »
Sophie soupira et , les yeux balayant la scène autour d’elle, elle pensa que cette journée n’aurait pas pu plus mal finir.
Sophie était enfermée dans une immense bouteille de vodka qui flottait tant bien que mal sur un océan de whisky. Elle était devenue minuscule, si petite qu’elle avait pu passer par le goulot qui lui semblait maintenant inatteignable. Comment pouvait-elle sortir de là ? De plus l’océan grondait de plus en plus, ballottant la bouteille comme une simple feuille. Sophie se mit à hurler, frappant de ses poings misérables le verre épais de la bouteille. Personne ne voulu lui répondre. Mais soudain une voix au loin prononça son nom, d’abord faiblement, perdue dans les flots alcoolisés, puis distinctement, très proche.
« - Sophie ! Sophie ! Sophie, êtes-vous là ? »
Elle ouvrit un œil, puis les deux. Elle s’était réveillée mais pourtant la voix était toujours là à crier son nom. Sophie se ressaisit et jaugea la situation. Elle était assise sur des toilettes, le jeans tombés sur les chevilles et quelqu’un tambourinait à la porte. Elle reconnut en un éclair la voix de sa patronne qui s’époumonait.
« - Merde ! Comment j’ai fait pour m’endormir aux chiottes ? »
Elle se rhabilla et ouvrit le verrou de la porte.
« - Soph… ! »
Sa patronne fut prise de court. Elle toussota et remit ses lunettes en place.
« - Sophie, vous êtes en période d’essai, dois-je vous le rappeler ?
- Je suis navrée madame, je…
- Nous vous attendons en salle de réunion depuis trente minutes !
- Excusez-moi, madame, j’ai fait une petite fête hier soir et je me suis couchée très t…
- Une fête ! Oh ! Et en quel honneur ?
- Bah, je fêtais m…
- Je ne veux pas le savoir !! Vous êtes virée ! »
Elle tourna les talons et claqua la porte. Sophie se frictionna la visage et sortit à son tour, une boule d’angoisse coincée dans la poitrine. En rassemblant ses affaires dans son bureau elle fondit en larmes. Comment avait-elle pu perdre un boulot qu’elle avait mit des semaines à obtenir ? Elle rentra jusqu’à son appartement en métro, les mâchoires serrées pour s’empêcher de pleurer devant de parfaits inconnus.
Arrivée chez elle, elle tomba sur son lit épuisée de fatigue, de colère et de tristesse. Mais elle releva vite le visage de son oreiller, incommodée par l’odeur.
« - Beurk ! Je suis contente de ne pas me souvenir de la soirée d’hier ! »
Elle se mit à sourire à travers ses larmes et se leva. Mais elle n’eut pas le temps de faire un pas que des râles de plaisirs lui parvinrent de son plafond. Elle leva le yeux. Les râles reprirent de plus belle, accompagnés bientôt du choc caractéristique d’une tête de lit contre un mur. Et en quelques instants, l’appartement de Sophie passa à ses yeux pour le studio de tournage d’un film porno. Elle regarda sa montre : 16h01. Sophie soupira.
« - Rhoo, mais c’est pas possible !! »
Enervée elle prit ses clefs de voiture et quitta son appartement, persuadée que conduire lui ferait le plus grand bien.
«- Et félicitations aussi pour ton nouveau job !! Ca fait déjà deux semaines mais c’est toujours bon à fêter !! »
Joan levait sa chope de bière devant Sophie qui se versa un grand verre de Vodka-pomme et prit à son tour la parole, visiblement déjà très éméchée.
« - Merci à tous d’être venus ce soir, je suis super contente !! Et merci à tous ceux qui ont amené des bouteilles, je suis encore plus super contente !! Hic ! »
Elle rit et faillit tomber à la renverse. Toute l’assemblée éclata de rire.
« - C’est vrai que ce boulot est super et il faut fêter ça ! Hic ! Et pis surtout, je suis plus enfermée chez moi et donc j’entends plus mes connards de voisins qui baisent tous les jours à heure fixe en plein milieu de l’après-midi !! »
Tout le monde explosa de rire.
« - Si si, j’vous jure, comme des horloges, à 16H pile !
- Et dire que ce job aurait du te rendre plus adulte, Sophie, lança Joan.
- Ah bah oui ! Parce que maintenant j’ai des responbasilités ! »
Elle trinqua dans le vide avec ses amis, hilares, avant d’avaler une longue rasade de sa mixture. Qu’elle vomit une heure plus tard, affalée sur le carrelage de la salle de bain. Joan vint la soulever pour l’asseoir.
« - Sophie, il est 4H du matin là. Tu risques de plus être très fraîche pour ton boulot demain. En plus, tu es la seule à être venue en voiture.
- Oui, ma voiture…..murmura Sophie avec un sourire niais.
- Ce qui veut dire que je vais devoir te ramener ! Alors debout ! »
Il la tira par le bras et l’amena dans l’entrée. Sophie se mit à rire bêtement alors qu’il lui enfilait son gilet.
Il réussit à l’asseoir sur le siège passager et à lui boucler sa ceinture.
« - Joan ?
- Quoi ?
- Je crois que je vais vomir…
- Retiens-toi un peu, c’est ta voiture quand m…. »
Trop tard, Sophie avait déjà la tête entre les genoux. Joan se mit au volant en soupirant, une main sur la bouche pour éviter les inhalations alcoolisées. Arrivés chez son amie, il l’allongea sur son lit, épuisé d’avoir du la porter sur quatre étages.
« - J’te préviens ma vieille, c’est pas moi qui te désape pour te foutre ton pyjama ! Débrouille-toi !
- Hmmm….Dodo…. »
Joan rentra chez lui à pieds et Sophie s’endormit, un morceau de gâteau régurgité collé sur la joue gauche.
« - Voilà, on prendra ensuite la prochaine à droite…
Sophie mit son clignotant et commença à regarder dans son rétroviseur.
- …..pas celle-là, mais l’autre. »
Sophie soupira. Elle se demanda pourquoi pour la plupart des gens, la « prochaine à droite » est en fait pas la prochaine, mais la suivante.
« - C’est n’est pas la prochaine alors, murmura-t-elle.
- Pardon ? »
Elle se tourna vers l’homme assis à côté d’elle. Il n’était pas si mal après tout, avec son beau sourire et ses yeux verts. Elle pouvait bien lui pardonner. Elle lui sourit poliment et prit la sortie après la prochaine à droite. Et alors qu’elle zieutait le plus naturellement possible dans son rétroviseur intérieur, elle sentit qu’il lui rendit son sourire.
Elle conduisit encore deux minutes puis il la pria de faire un créneau derrière une Clio blanche. Elle entreprit sa manœuvre et , en se retournant, vit le visage dégoulinant de sueur de son moniteur assis à l’arrière. Il lui fit un clin d’œil complice.
Son créneau achevé, Sophie tira le frein à main et coupa le moteur. Et alors, dans un silence de cathédrale, tous les yeux étaient rivés sur les lèvres de l’inspecteur qui griffonnait sur son dossier.
« - Bon, Mademoiselle Bonot, pour vous c’est non, navré. »
Il se tourna vers la jeune fille assise aux côtés du moniteur. Cette dernière se mordit la lèvre pour étouffer un sanglot.
« - Vous avez oublié deux fois de vérifier dans votre rétro avant de tourner. Et, même si ça n’a pas une grande incidence, vous avez tout de même calé six fois. »
La jeune fille sortit du véhicule et fondit en larmes. L’inspecteur se tourna alors vers Sophie et fendit son visage de son plus beau sourire.
« - Quant à vous, c’était parfait, vous l’avez.
- Oh ! Merci ! Merci !
- Non, c’est moi qui vous remercie. Vous voyez la voiture derrière nous ?
Sophie se tourna et vit un très joli coupé sport gris métallisé.
- C’est la mienne, et elle est neuve. Je vous en aurait voulu si vous aviez raté votre créneau ! »
Il lui fit un clin d’œil et sortit de la voiture. Son moniteur la félicita, visiblement très fier, avant d’aller réconforter son autre élève. Sophie put enfin se délecter de sa réussite après ses trois précédents échecs.
Et une fois assise sur le trottoir à attendre le passage des autres élèves, elle prit son portable.
« - Allô ? Joan ? C’est bon ! C’est dans la poche ! Ce soir grosse teuf chez toi pour fêter ça !! »