Fin imposée - 1

Ecrire un texte qui doit obligatoirement se terminer par : "Elle savait maintenant qui était son père."


clo

La même tension, chaque année, à la rentrée. « Afin que je vous connaisse mieux, vous allez prendre un quart de feuille et écrire vos nom, prénom, date de naissance, adresse, téléphone, âge et profession des parents... » « Et toi ton père, il fait quoi dans la vie ? » Tous les ans la même rengaine. Flore aimerait tellement pouvoir répondre à cette question.
- Maman, qui est mon père ?
- Ma puce, on en a déjà parlé. Quand je lui ai dit que j'étais enceinte, il a disparu. Je le connaissais à peine... Mais il m'a permis de t'avoir, toi !
- Je vais avoir 15 ans, il le sait ça au moins ? Que sa fille pense à lui ? Tu as son nom ? Son adresse ?
- Tu sais bien que non, il n'a plus jamais donné de nouvelles et je connais juste son prénom : Stéphane. On est à peine resté quelques jours ensemble.
Et comme à chaque fois qu'elles abordent cette question, ça fini en cris, en larmes, en portes qui claquent... Puis en câlins.
15 ans.
15 ans passés à l'attendre, 15 ans à espérer le voir débarquer, à le croiser à chaque coin de rue.
Agent de Police ? Pompier ? Aventurier ? Charcutier ? Peut-être a-t-il une autre vie, ailleurs... Peut-être est-il mort...
C'est d'ailleurs ce qu'elle avait fini par dire à ses camarades et à ses professeurs. Ça permettait d'éviter les explications...

C'est le grand jour ! Quinze, 1 et 5 ! Elle se lève, toute fière de son nouvel âge, de ce petit bout de femme qu'elle commence à être... « Ce soir, Maman, on fait la fête ! Tu as pensé au gâteau ? »
Son sac sur le dos, elle remonte la rue, perdue dans ses pensées, « j'espère qu'elle va m'offrir le cadeau que je veux... » Le boulanger sort sa pancarte et la salue au passage. « Et si ?... » Le facteur commence sa tournée, le chauffeur de bus, le concierge du lycée, le prof de Maths. Tous ont l'âge d'être son père. Mais elle ne connaît le prénom d'aucun !
La journée se déroule comme les autres. Rien ne change parce que c'est son anniversaire ! La sonnerie, enfin !
Le prof de Maths, le concierge du lycée, le chauffeur de bus, le vélo du facteur, le boulanger...
La maison !
Maman.

« Chérie, aujourd'hui, c'est ton anniversaire, il est l'heure de t'offrir ton cadeau. Non, ce n'est pas le téléphone portable que tu voulais. C'est autre chose... Je voudrais te présenter Stéphane ! »

Elle savait maintenant qui était son père.

C'est très joli....

clo

Je viens de m'y coller, voici le résultat.


Un seul être vous manque et tout est dépeuplé... Paroles, paroles, paroles direz-vous. C'est pourtant ce qui résume 62 ans d'une vie d'éternelle fille en devenir.
"- Mort au front". Cette réponse immuable et devenue réflexe pour Yaya, la matriache de la famille, ma mère n'y a jamais cru. Trop de gêne, de sous-entendu dans la voix de Yaya, trop facile de botter en touche, pas assez d'émotion dans ces trois mots de glace ; trop d'indices contradictoires. Moitiés de photographies pour une moitié de vie. Condamnée à être éternellement bancale par une vérité non-dite, ma mère n'a toujours fait que survivre, attendant les paroles qui la mettrait définitivement au monde. Mettre au monde, elle l'a fait à son tour. Mais comment être mère quand, soi-même, on n'est pas totalement fille? Le vide de son existence est donc naturellement devenu mien, question d'hérédité sans doute.
Jusqu'au jour où ce vide par procuration allait se transformer pour moi en une perte directe. Comme elle l'a été pendant plus d'un demi siècle, j'étais sur le point d'être amputé d'un des éléments fondateurs de mon être au monde. Allongée dans un lit blanc, toute de blanc vêtue, son regard était encore plus absent que je l'eusse jamais connu. Difficile de dire alors, si ce n'était le mouvement verticale de sa poitrine, si elle était encore parmi nous. Tel un coup de grâce, les médecins lui avaient arraché en vain le sein gauche. Côté du coeur. Ironie du sort pour elle à qui ce côté avait finalement toujours manqué. Pour compenser, j'avais disposé sur la table de chevet blanche la photographie, tronquée, d'elle bébé dans les bras de Yaya vêtue d'une robe grise et d'un fichu sur la tête, et posant devant une forme étrange et mystérieuse que personne n'a jamais pu définir. Ma main dans les siennes, nous étions là, immobiles et recueillis.
Soudain, ce silence religieux fut brisé par le bruit caractéristique du frottement du pied droit de Yaya sur le sol. Elle s'avança, sans un mot, les yeux baissés voire honteux. Elle prit le cadre, l'ouvrit, et toujours sans un mot y déposa l'autre moitié de la photographie, avant de la retourner face à sa fille. En une fraction de seconde, le tabou de plusieurs générations fut levé : la forme étrange perdit tout son mystère pour se révéler être un char, devant lequel se tenait, au garde-à-vous, la silhouette d'un homme au képi anguleux et à l'uniforme kaki. Après s'être détaché des croix ornant la gamme des drapeaux en arrière-plan, le regard de ma mère croisa celui de Yaya avant de s'achever dans le mien. Enfin chargé de sentiment, il passa de la surpise à l'amour via la gratitude et le pardon.
C'est ainsi que ma mère expira, plus vivante que jamais, car elle savait à présent qui était son père.



Ztn

Je le lui rappelle


Froide. C’est ce qu’elle était la première fois que je l’ai vu. C’est ce qu’elle dégageait, de la froideur. Pourtant si chaude pour les autres. Etrange. Quand elle me regardait tout basculait. Sa peine elle me la donnait. Comme au ralenti, son œil se détournait vers le mien, et c’est là que je la cristallisais. Un quart de seconde pour les autres, un instant continue pour moi, dès que je la scrutais. Au milieu de tous ses amis, elle était entourée de chaleur. Mais froide avec moi. Pourquoi ? Elle me la donnait à voir sa froideur… Peut être que je le lui rappelle ?...

Quand elle vient contre moi. Qu’elle appuie sa tête contre mon torse. Que je l’emprisonne sous mon menton. Quand elle vient tout contre moi. Elle est brûlante. Jamais je n’avais connu de braise. Même à travers la laine épaisse de son pull ocre. A travers ses yeux gris. Quand nous nous couchons l’un contre l’autre. Et que dans une rage soudaine elle me reproche d’être trop jeune. Ca y est, sa chaleur je la sens aussi. Qu’elle se heurte à mon silence, mon calme, ma compréhension… Peut être que je le lui rappelais. A trop serrer le froid on se brûle.

Tu étais mariée, nous le savions tous les deux. Et bien que je lui ressemble tant, la différence venait de l’amour que nous nous portions. Quand tu me demandais de t’embrasser sur le front. Quand tu venais à califourchon sur mes genoux et que nous nous embrassions à ne plus avoir de lèvres. Je crois que tu le retrouvais là aussi. Evidement tu ne l’as pas connu. Toute l’affection que tu aurais du lui porter se porte sur moi. En plus de l’amour, le respect…mes grands bras qui t’enveloppent et te rassurent. Tu m’as dit que tu avais besoin de moi : Ta famille à moi tout seul.

Une enfant sur le quai de la gare. La tête recroquevillée entre les épaules, c’est ce qu’elle était quand je l’ai quitté. Ne pas se retourner, non ne pas regarder son passé s’éloigner au temps présent. Je l’ai fait. Je me suis retourné et je l’ai vu se transformer le long de sa marche. Son sac à main virevoltant de droite et de gauche, qui se calme, le pas qui devient régulier, il se stabilise. Elle était droite, et déterminée à reprendre sa vie. Enfant, femme-enfant, puis femme, sur quelques enjambées. Il nous restait la fraternité. Nous devions nous cacher notre amour. Et bien que ce soit moi qui ai dix ans de moins, elle savait à présent qui était son père.

Bravo les gars, que ce soit toi Zitoun ou toi Ous, à qui je souhaite la bienvenue !!

clo

Merki!!

Et bienvenue cher Ous! Ravi de te compter parmi nous!!


Ztn

Le voyage avait duré plusieurs mois.
Enfin elle était arrivée ! Une réception a été donnée en son honneur, tout le monde était là, à l'attendre !
Quand elle franchit la porte, elle poussa un grand cri de joie à la vue de tous ceux, réunis pour elle !
La personne la plus proche la débarrassa de ses bagages, elle se mit à l'aise. Le temps de se changer, elle passait à table.
Comme elle avait faim ! La fin du voyage avait été très éprouvante et elle se régala de ce premier dîner...
Enfin repue, tous préférèrent la laisser prendre un repos bien mérité, ils auraient tout le temps de lui parler dès demain !

Elle se réveille, son premier jour depuis la fin de son périple. Tout est calme, tranquille. Une ombre sur son lit, sa mère vient la saluer et l'invite à prendre le petit déjeuner. Sa mère. Elle l'a accompagné tout au long de ses pérégrinations, sa présence a été tellement réconfortante, rassurante. Mais aujourd'hui, elle semble enfin la découvrir, son visage, sa voix. Complices, elle ne se quittent pas du regard.
Nouvelle ombre, une personne vient de rentrer. Sa voix ne lui est pas inconnue. Changement de position, elle se retrouve sur ses genoux, ils se regardent enfin face à face, yeux dans les yeux, pour la première fois.
Elle savait maintenant qui était son père.

J'suis désolée, je dois peut-être être bête, mais je n'ai pas compris ton texte...

clo

Bah je me trompe peut-être mais moi j'ai compris que "Elle", c'était un bébé qui venait de naître...

Tu me dis si j'me trompe Taho! ???

Ztn

bien vu Zitoun, c'est exactement ça !

le voyage : la grossesse
le premier repas : la première tété

etc.

J'aime bien tromper un peu le lecteur en ne laissant que des indices sur la situation de l'histoire...

c'est bien ce que je me disais mais l'histoire du voyage j'avais trouvé ça bizarre, on dirait vraiment qu'elle vient de marcher en fait c'est pour cela...

clo

Je voulais tirer un grand grand chapeau à Taho ! parce que j'ai vraiment beaucoup beaucoup aimé son voyage...
Effectivement j'ai pas compris tout de suite de quoi il s'agissait, mais l'arrivée du père m'a tout de suite donné la clé et j'ai compris à ce moment-là le parallèle voyage / naissance, repas / têtée...
Vraiment très très joli parce que tellement loin des "jolis" trucs qu'on lit d'habitude...

Je me sens contente d'avoir lu ça, dis donc ! Comme bouleversée ! :-)

Je viens de relire le texte de Taho! et c'est vrai que ça devient plus clair. C'est juste que certaines expressions m'ont fait tilté comme "on la débarrassa de ses bagages" qui je suppose veut dire qu'on a lavé l'enfant. Mais à la deuxième lecture on comprend mieux.
Un bon texte donc !

clo

It's my turn !

« Adoptée ». Le mot avait été lâché un mardi soir. Sa mère l’avait regardée avec tendresse, se blottissant contre son père et lui avait annoncé.
« Nous voulions attendre que tu sois en âge de comprendre, mais pas trop tôt non plus. Tu as 12 ans dans quelques jours et cela nous semblait important. Tu comprends ? »
Bien sûr qu’elle comprenait. Elle comprenait surtout le mensonge. Son identité disparut, elle devait reprendre à zéro. Elle aimait ses parents, mais ils n’étaient plus ce qu’ils disaient être.
Elle s’enferma dans sa chambre. Son père vint y frapper à plusieurs reprises mais elle resta effondrée.

Quelques mois plus tard, elle retrouva la trace de son père, son vrai père. Pas un menteur ! Ses faux parents l’avaient laissée faire. Elle en avait le droit, ils ne pouvaient pas l’empêcher de vouloir retrouver ses racines. Ils l’aidèrent à faire des recherches et la conduisirent chez l’homme. Ils restèrent dans la voiture, dans un état qu’ils ne saurèrent décrire. Etaient-ils inquiets ? Nerveux ? Soulagés ?
En tout cas, ils virent leur fille s’éloigner vers un passé qu’eux-mêmes ne connaissaient pas. Elle frappa à la porte et disparut dans la maison.

Elle entra, gênée. Son père était là devant elle mais elle ne fit rien. Elle s’imaginait qu’elle le reconnaîtrait au premier coup d’œil, qu’il l’embrasserait ou qu’elle pleurerait, même rien de tout cela. Il parut tout de même heureux de la voir, lui offrit un verre de jus de fruit et lui posa des questions banales sur sa vie. Elle répondit poliment, le toisant du regard pour remarquer les similitudes physiques qui pouvaient les relier mais rien ne lui sauta aux yeux. Elle resta assise, son verre à la main sans savoir si elle devait l’appeler « papa » ou « monsieur », ou si elle devait ressentir de l’affection pour lui. Au bout d’une heure, elle sortit. Ils s’étaient échangés leurs numéros pour pouvoir se revoir plus tard. Elle avait été contente mais sa déception fut grande.

Et sur le chemin qui la reconduisait à la voiture de ses parents elle repensa à l’anniversaire de ses onze ans, son père avait fait faire un gâteau au chocolat qu’elle adorait. Elle revit cette journée à la plage où elle l’avait obligé à faire de la planche à voile avec elle. Elle repensa aux recherches qu’ils avaient effectué ensemble pour retrouver la trace de son géniteur. Il l’avait toujours encouragée, il avait toujours fait en sorte qu’elle soit heureuse.
En remontant dans la voiture, elle avait les larmes aux yeux. Elle se tourna vers lui, son regard était réconfortant.
« - Alors, ça s’est bien passé ? »
Elle sourit dans ses larmes et le prit dans ses bras.
Elle savait maintenant qui était son père.

clo

Très chouette!
Jolie chute qui donne toute son empleur au sujet ô combien délicat de l'adoption.


Bravo!


Ztn

Peroline a écrit:

Je voulais tirer un grand grand chapeau à Taho ! parce que j'ai vraiment beaucoup beaucoup aimé son voyage...
Effectivement j'ai pas compris tout de suite de quoi il s'agissait, mais l'arrivée du père m'a tout de suite donné la clé et j'ai compris à ce moment-là le parallèle voyage / naissance, repas / têtée...
Vraiment très très joli parce que tellement loin des "jolis" trucs qu'on lit d'habitude...

Je me sens contente d'avoir lu ça, dis donc ! Comme bouleversée ! :-)

Merci beaucoup ! D'autant plus que je travaille du chapeau, arborant régulièrement un couvre-chef haut-savoyard...

Merci aussi Clo, notamment encore une fois pour l'excellente idée de cet atelier d'écriture !

Hihi

Merki Zitoun !

et de rien Taho!

clo

Je viens de lire ton texte Clo, je l'avais gardé pour plus tard...

Très joli, "C'est dur d'être adoptée"

Oui et non, mon texte est quand même optimiste... Et ce serait plutôt "c'est dur d'adopter" !

clo

Je suis un peu à la bourre, mais c'est pas grave !

Elle avait huit ans. Elle rentrait de l'école. Elle ne faisait pas attention à ce qui se passait autour d'elle. Elle regardait à peine les voitures avant de traverser. Elle ne vit pas la voiture dans la cour.

Elle ouvrait la porte. Elle posait son sac. Elle appelait : "Papa ?". Elle attendait une réponse. Elle rangeait son manteau dans le placard. Elle ne vit pas le manteau juste à côté.

Elle quittait ses chaussures. Elle montait les escaliers. Elle entendait du bruit. Elle ouvrait la porte. Elle voyait les vêtements par terre. Elle voyait le costume de son papa. Elle voyait la robe rouge.

Elle s'approchait. Elle regardait. Elle ne savait pas qui était cette dame, mais elle savait maintenant qui était son père.

Pas mal, phrases courtes et percutantes comme j'aime !!

clo

Classe le détournement du sens premier de la phrase imposée!

J'aime aussi beaucoup le style de ce texte.

Toutes mes ficelles!

Donc Zitoun, lui ne porte pas de caleçon !

J'ai mis un moment à le comprendre, mais c'est très bien fait. On comprend en quelques phrase (et 35 minutes de téléphone !)... Bravo !

Tu peux même aller jusqu'à 45... Mais je me doutais que le texte serait peut-être un peu compliqué pour toi... Je pense que tu devrais te limiter à la rubrique des "Monsieur et Madame".