Biographie de la Faim - Amélie Nothomb

Je viens de finir ce succulent bouquin de mon auteure favorite. Ce n'est pas mon préféré mais il est parfait.

Encore une autobiographie, mais quand on a vécu une vie pareille autant ne pas priver les gens d'un tel délice !

Etant donné que tout est très bon, je vous mets un passages au hasard.


Inspirée sans doute par les forces obscures, ma mère dit une parole où d’aucuns verraient de la cruauté, mais qui était d’une fermeté indispensable et qui joua un rôle capital dans la suite de mon existence :
-Si tu veux que je t’aime encore plus, séduis-moi.
Cette phrase m’indigna. Je rugis :
-Non ! Tu es ma mère ! Je ne dois pas te séduire ! Tu dois m’aimer !
-Ca n’existe pas, ça. Personne ne doit aimer personne. L’amour, ça se mérite.
Je m’écroulai. C’était la plus mauvaise nouvelle que j’aie entendue : j’allais devoir séduire ma mère. J’allais devoir mériter son amour et tous les autres amours.
Il ne suffisait donc pas d’apparaître et d’exiger d’être aimée. Je n’étais donc pas d’essence divine. Les doses pharaoniques d’amour que je demandais n’étaient donc pas légitimes. Cette avalanche de donc me renversa.
Séduire ma mère : ça ne serait pas de la tarte. Comment faire ? Aucune idée.
Plus grave : il allait falloir mériter l’amour. J’étais comme la famille royale anglais apprenant qu’elle allait devoir payer des impôts : quoi ? Tout ne m’était-il pas dû ?
En outre, je sentais bien que j’aurais besoin de trop d’amour : la portion congrue ne me satisferait pas. J’allais devoir mériter des doses incongrues d’amour. Bref, j’allais devoir me donner un mal de chien.
J’avais une tonne de pain sur la planche. Et je sus cette chose qui s’avéra, qui ne cessa de s’avérer davantage : j’allais devoir me fatiguer, dans la vie.
Cette idée m’épuisa d’avance.