Voilà mon texte avec les mots imposés. L'utilisation du mot "châle" est peut-être un peu capilo-tractée mais je tenais à mon idée. Je vous laisse découvrir....
Gontran venait d’être accepté dans la tribu du châle, le « chemin vers l’ale ». Personne ne signait pour intégrer ce club, et, à vrai dire, une fois membre, on aurait donné n’importe quoi pour le quitter. Y entrait le désespéré, prêt à demander l’aumône pour un verre de vodka ; y entrait le fier, qui gardait la conviction honteuse que, selon lui, l’heure de l’apéro sonnait à tout moment. Un jour, on signait pour être membre de ce club du silence, sans en avoir le choix. C’était la règle.
Après tout, ça n’était pas de sa faute, à Gontran. Ses parents ne lui avaient pas fait de cadeau en lui donnant un nom pareil. Son père, fan de Walt Disney, avait toujours admiré les numéros de gymnastique de Mickey et ses amis. Il adorait surtout leurs pieds, sans trop savoir pourquoi, et, les week-ends, il s’enroulait les orteils dans du sparadrap et enfilait un costume de marin, à l’image de Donald.
Quand Maggie avait appris qu’elle était enceinte, le nom de Gontran s’était imposé. Le minuscule bébé était à peine sorti du ventre chaud que son père l’avait pris dans ses bras en lui disant : « Mon Gontran ! ». L’enfant s’était mis à crier. Le Pater Familias avait peu à peu pété les plombs et en quelques années, la maison était devenue un véritable musée. Les murs avaient été recouverts de posters à l’effigie des cartoons, et tous les objets avaient été frappés du sceau de WD, de la serviette de bain au biberon du bébé, du paillasson de l’entrée aux dessous de verre, qu’on sortait au petit déjeuner comme au souper.
A 42 ans, comme tous les soirs, Gontran était assis au comptoir de son bar préféré et commandait un troisième ballon de vin rouge à Gégé. A « La Crevasse », il avait ses habitudes et ses us ; les pieds de son tabouret avait fini par user le plancher miteux. La « Crevasse » était le symbole de sa brèche à lui, son point faible et pourtant, il aimait ce bar depuis la première fois où il y était entré. Le matin, les rideaux encore tirés stoppaient la clarté agressive des premiers rayons du soleil, et le soir, Gégé annonçait l’heure des adieux pour la journée en rangeant les bouteilles. Pendant une nuit, il laissait Gontran face à ses ténèbres. Pendant une nuit, Gontran devrait supporter la douleur de voir s’éteindre, pour quelques heures, la plénitude douce et amère que faisait naître sa passion interdite.
Ce soir-là, Gontran commanda le fameux cocktail maison de Gégé et versa le contenu d’une petite pilule rouge dans son verre. « C’est quoi, cette merde, Gontran ? » demanda Gégé. A l’évocation de son nom, Gontran frissonna et sut qu’il avait fait le bon choix. « La cerise sur le gâteau. Pour bien finir la soirée… ».