... C'est la conclusion à laquelle je suis parvenue aujourd'hui. Tout avait pourtant bien commencé. Je devais garder une petite Juliette, 2 ans, pour la 2ème fois, de 8h10 à 18h30. J'avais déjà négocié ma journée pour être payée plus cher que la dernière fois. J'ai même réussi à avoir un 20 minutes en prenant le métro.
Et puis, à partir de là, je n'ai pas compris. Tout a commencé à aller mal. D'abord pour le trajet, puisque cette fois-ci j'avais décidé de tester un nouvel itinéraire qui, selon moi, devait me faire gagner quinze minutes au mieux, huit au pire. Sauf que voilà. Ils avaient déplacé l'arrêt en raison de travaux, et ce c... de chauffeur de bus n'a pas voulu m'arrêter. Donc il m'a posé à l'autre bout du parc de la tête d'or, ce qui me rallongeait de facilement 10 minutes. Déjà que j'étais pas en avance...
Finalement j'arrive avec 20 minutes de retard, me confonds en excuses qui partent dans l'immensité d'une sphère dimentionnnelle différente de la nôtre (disons que la mère n'y a même pas prêté attention), et dès que la femme a refermé la porte derrière elle, la tête d'ange aux yeux bleus s'est mise à crier. Pour la première fois de la journée.
Comble de la chance, la poussette était également en dérangement. Je devais donc m'occuper de la petite râleuse durant toute la matinée sans même songer à la sortir. A 11h30, quand même, je lui donne à manger et décide de la coucher. Elle est un peu malade, elle toussote, son nez coule. Elle qui dort normalement 1 heure devrait en dormir au moins le double, pensais-je en la bordant. Que nenni ! 35 minutes plus tard, la voix de la diablesse se fait entendre. Je décide de passer à la phase 2.
Alors je l'installe sur la poussette et pars gambader les rues et les marchés pour au moins trois heures. Mais la furie se démène, elle veut marcher toute seule, sans me donner la main, en traversant n'importe comment. Action, réaction : je l'emmène au parc de la tête d'or où, à loisir, elle pourra se défouler et bien se crever.
La chance de la journée fut malgré tout de tomber, pour la première fois de ma vie, sur un spectacle de Guignol. Le rideau n'était pas assez tiré,donc, avec Juliette, on a profité du spectacle. De toute façon, on n'allait pas se faire arrêter pour voyeurisme devant Guignol !
Et puis, petit à petit, la malade commence à s'arrêter, à regarder, à pleurer, à chouiner, à taper du pied, et pire : à me répondre comme à un chien. Je laisse passer une fois, deux fois, trois fois, mais bon ! Faut pas me prendre pour une conne, donc je décide de lui montrer. Il est 16h, elle doit commencer à avoir faim, on va rentrer.
Pour accélérer le mouvement, je la saisis et la pose délicatement dans la poussette, histoire de rentrer plus vite. J'ai les pieds en compote et des ampoules qui apparaissent sous le talon. C'est pas le pied ! Mais la tigresse en a décidé autrement et commence à gesticuler comme une furie. Elle donne coups de pieds, de poings ; les passants me dévisagent comme une marâtre qui châtie sa fille - ils n'ont pas compris que les rôles sont inversés. Je l'empoigne décidément plus fort, parviens à l'attacher et me dirige vers la sortie du parc. Les promeneurs sont effarés de cette toute petite chose qui pousse de si grands cris. Moi, j'ai honte.
Nous sortons du parc, la bête sauvage s'est un peu calmée. Je me dirige vers le pont Churchill, me positionne devant le bonhomme rouge ("Deviens vert ! Deviens vert !"), et regarde les voitures passer et se diriger vers la Cité Internationale. Elle est là, blanche, coulante, agile comme une panthère, arborant fièrement son autocollant bleu marine. Elle avance vers moi, et je ne peux détacher mon regard de l'engin. La voiture de France 3 s'approche, je distingue à l'intérieur deux personnes à l'avant, deux à l'arrière. Arrivée à ma hauteur, elle entame son virage et semble avoir décidé de me narguer totalement. Dans toute sa splendeur, assis côté passager, Luc Hernandez me dévisage.
Là, j'ai compris que j'étais pas sur le bon chemin. Que si je voulais réussir ma vie, être un jour assise dans une voiture à côté de lui, il fallait que je laisse tomber les gamins, il fallait que je bosse, que je me remue le popotin. Sur le pont Churchill, j'ai regardé le fleuve vert, et mes yeux se sont noyés dans les limbes de ses profondeurs abyssales. Pendant une seconde, j'ai imaginé le corps de Juliette, gesticulant, que j'aurais lâché par-dessus la rambarde. Pendant une seconde, j'ai imaginé le bruit quand son corps serait rentré en contact avec l'eau. Et pendant une seconde, j'ai adoré ça.
Dans 1 heure, j'aurais au moins gagné 50 euros.
Ceci est un texte, ou plutôt un post provenant de mon blog, et sur ordre de la chef, je vous le fais partager ici même, sans rien y avoir retouché. Admire qui voudra.